L’annonce :
Diplômée du célèbre « Master sans fin » qui débouche éternellement sur des stages non rémunérés, je suis très heureuse d’avoir atterri sur votre site qui me propose de m’accompagner tout au long de ma vie. Etant seule et sans ressources, selon le formulaire de la CAF, je suis très intéressée par votre proposition de prendre en main mon destin.
Avec votre fidèle partenaire JeuneDip.com qui m’accompagne également dans mes recherches, je suis désormais certaine d’être sur la voie de l’accomplissement professionnel. Vous êtes le tandem de mon existence et vous m’apportez chaque jour l’équilibre dont j’ai besoin pour être un peu plus moi, un peu plus jeune, un peu plus précaire : un peu plus vivante, finalement.
Aujourd’hui, grâce à vous, par-delà les montagnes d’annonces, d’échecs et de lettres de motivation, je peux affirmer sans rougir ma véritable vocation : « community manager ». D’abord découragée par l’étendue des études et la complexité du métier, je me suis rendu compte à quel point cette fonction manquait à ma vie, à quel point l’absence de community management créait le vide en moi, une sorte de mélancolie sournoise qui me chuchotait que oui, j’avais raté ma vie.
Heureusement, votre offre d’« apprentistage » est apparue telle une révélation parmi tous les autres messages qui encombraient ma corbeille de spams. Vous avez crié depuis le fond de ce trou béant et sale, et je vous ai entendu. Je vous adresse donc ma candidature, en espérant qu’elle vous touche et vous accompagne tout au long de votre vie.
Sachez que j’ai une passion sans limite pour Internet. Je me connecte plusieurs fois par jour (sur le site de JeuneDip.com par exemple), j’ouvre plusieurs fenêtres à la fois et je tape des milliers de mots sur mon clavier. Au prix d’une immense frustration cependant : j’ignore comment tout cela est possible. Comment les ordinateurs s’allument, comment Internet fonctionne et par quel moyen magique je peux recevoir votre annonce dans ma poubelle. J’aimerais percer les mystères de l’informatique, passer de l’autre côté de la Toile, pénétrer les coulisses du système.
En d’autres termes, je crois que mon désir de community management se confond dans un seul et même désir de comprendre le monde qui, paraît-il, touche à sa fin. Vous comprendrez que je ne peux pas mourir sans avoir optimisé du « netlinking », par exemple.
Je suis sûre qu’il s’agit d’une expérience formidable, que seuls les grands de ce monde éprouvent. Je ne peux pas non plus mourir sans « backlinker les contenus », « surfer en CSS » ou « fluxer du HTML ». Moi aussi je veux entrer en communication extraterrestre, « buzzer de la vibe », « switcher du flex » et « mixer du monitoring ».
Je ne veux pas mourir bête, sans avoir compris de quoi il s’agit. Sans SAVOIR. Sans connaître, sans comprendre ce qui vous pousse, un soir de décembre, à remuer les Casino 3000 et les faux Paypal de ma poubelle, à vous extirper des décombres de Pixmania Noël et de Tati.fr pour venir vous vanter de m’accompagner tout au long de ma vie. Comme si ma vie avait besoin d’accompagnement. Comme si vous étiez Dieu, et moi, le pape. Comme si la vie n’avait pas été assez dure jusque-là.
Je vous prie donc, pour mon bien, celui de la communauté et du management dont vous dégradez l’image, de bien vouloir arrêter de polluer ma corbeille, au risque qu’elle vous explose un jour au visage et vous inonde de lettres de Sara Fistole.
En vous remerciant de votre compréhension,
Sara Fistole.
Sincerement, j’adore ; vous devriez compiler toutes ces annonces et leurs missives dans un bouquin.
Bravo pour votre talent.
Bien a vous.
Pas un bouquin, un e-book, bien sûr !
Tout cela est dramatiquement drôle.
« Je m’empresse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer », disait Beaumarchais.
Triste monde qu’est le nôtre. Une société où la précarité longue durée côtoie l’opulence infinie, où la bêtise et le charabia du « pro-qui-fait-du-vent-très-cher » sont mieux reconnus que le savoir et le discernement d’un humble travailleur (bac + 5 minimum quand même).
Gardons notre oeil critique, ne laissons pas tout passer sous prétexte que « nous n’y pouvons rien, c’est comme ça ». L’humour tranchant est une arme excellente. Mais quand les « va-nu-pied » et les « crêve-la-dalle » marchent le ventre vide, le poing se lève et le tranchant de l’arme perd de son humour.
Bonne continuation. A dénoncer l’absurde, vous aurez toujours du boulot. Gratuitement d’abord. Peut-être un jour bien payant. Je vous le souhaite.
Ça m’apparaît comme très vrai de ce fait je vous adressse par conséquent un énorme bravo.