No pasaran!

Attention, l’annonce :

Madame, Monsieur,

Titulaire du Master « Multi-tout-en-un » spécialisé en marketing, administration, langues, sport, cuisine, mode et lessive, je vous adresse ma candidature pour les stages de traduction de textos que vous proposez, étant justement à la recherche de deux postes dans l’enseignement, la pagina web, la formation et autres métiers. Malgré l’intitulé un peu réducteur de mon Master réalisé sur dix ans seulement, je m’exprime sans problème dans toutes les langues, ce qui est la moindre des choses pour un stagiaire. Mais, en plus de l’espagnol, de l’allemand, du portugais, du chinois et du guatémaltèque, je peux parler le community management, la langue de bois et la javanaise, ce qui me différencie certainement des millions d’autres stagiaires sur le marché.

Etant par ailleurs vacataire et bénévole dans d’autres domaines comme la médecine, l’architecture, la technique de surface ou l’Education Nationale, je suis prête à ajouter deux stages à mon emploi du temps. En parallèle cependant d’un autre Master auquel je viens de m’inscrire : « Réussir sa vie en mille diplômes ». Comme il vient d’être prouvé scientifiquement que le diplôme est une protection extraordinaire contre le chômage, je préfère garder un pied à l’université pour sécuriser mon avenir. Même si je surfe sur le plein emploi depuis dix ans, on n’est jamais trop prudent.

Enfin, sachez que mes études m’ont inculqué la plus précieuse de toutes les compétences : la gratuité. Même si vous ne mentionnez aucun salaire, je ne vous réclamerai pas un centime, ni aucun ticket restaurant ou remboursement de transports. Je n’ai jamais faim, j’habite sur un carton et je peux m’auto-téléporter en Espagne si besoin. En effet, au cours de mon Master « Harry Potter », j’ai appris la magie, une discipline qui rencontre un grand succès dans la classe privilégiée des diplômés. J’ai d’ailleurs transformé mon carton d’habitation en tapis volant afin de me déplacer sans perdre de temps.

Je vous prie donc, dans le souci notamment de concrétiser ce rapport scientifique, de bien vouloir me protéger du chômage en validant ma candidature pour les deux postes de stagiaires que vous recherchez. Avec émotion, je pense à tous ceux qui n’ont pas le privilège de la convention de stage et qui font gonfler les chiffres de la pauvreté. Pour eux, pour nous, faites un geste. Epargnez-nous du chômage de manière extraordinaire : donnez-nous un stage.

Sara Fistole.

PS : Ci-dessous, ma lettre en espagnol, afin de vous prouver mon bilinguisme. Veuillez m’excuser d’avance pour l’orthographe, mon clavier ne pouvant faire les n avec une vague dessus, ni les points d’interrogation à l’envers.

Senorita, Senor,

Hola qué tal ? Yo muy bien, claro que si. Me llamo Sara, soy francesa. Respondo a tu anuncio por dos stagerios en tu pais porque estoy en la rechercha de un stage alors tu envoyo mi candidatura. Tengo un diplomo de Todo-un-dos-tres-maria en el marketo, administracion, traduccion, linguas y tortilla de patata.

Me gusta mucho Espana, la sangria, los bocadillos y sobre todo la siesta en la tarde. Me gustan mucho los voyagos y puedo parlar todas las linguas del mundo : el aleman, el polaco, el ruso, la carioca y lo comunito manago. Entonces. Ahora tengo tambien muchos métieros, en los medicinos, los architecturos, las toiletas y la educacion nacional.

Pero tengo la flema, voy a utilizar el Google traductor: Por último, mis estudios me han enseñado la habilidad más valiosa de todas: gratis. Yo nunca tengo hambre, yo vivo en una caja de cartón y me puede auto-telepuerto en España si es necesario. Pero el traductor es muy chianto. Repreno mi lettra.

En final, grazias de embaucharme como dos stagerios de traduccion, porque la crisa del chomagio es muy muy difficile en la societa de mierda. Pienso que devemos hacer la revolucion contra les stagios de puta madre de todos los pais. No pasaran, hasta siempre.

Sara Fistola.

Switcher du flex pour toi

L’annonce :

Madame, Monsieur,

Diplômée du célèbre « Master sans fin » qui débouche éternellement sur des stages non rémunérés, je suis très heureuse d’avoir atterri sur votre site qui me propose de m’accompagner tout au long de ma vie. Etant seule et sans ressources, selon le formulaire de la CAF, je suis très intéressée par votre proposition de prendre en main mon destin.

Avec votre fidèle partenaire JeuneDip.com qui m’accompagne également dans mes recherches, je suis désormais certaine d’être sur la voie de l’accomplissement professionnel. Vous êtes le tandem de mon existence et vous m’apportez chaque jour l’équilibre dont j’ai besoin pour être un peu plus moi, un peu plus jeune, un peu plus précaire : un peu plus vivante, finalement.

Aujourd’hui, grâce à vous, par-delà les montagnes d’annonces, d’échecs et de lettres de motivation, je peux affirmer sans rougir ma véritable vocation : « community manager ». D’abord découragée par l’étendue des études et la complexité du métier, je me suis rendu compte à quel point cette fonction manquait à ma vie, à quel point l’absence de community management créait le vide en moi, une sorte de mélancolie sournoise qui me chuchotait que oui, j’avais raté ma vie.

Heureusement, votre offre d’« apprentistage » est apparue telle une révélation parmi tous les autres messages qui encombraient ma corbeille de spams. Vous avez crié depuis le fond de ce trou béant et sale, et je vous ai entendu. Je vous adresse donc ma candidature, en espérant qu’elle vous touche et vous accompagne tout au long de votre vie.

Sachez que j’ai une passion sans limite pour Internet. Je me connecte plusieurs fois par jour (sur le site de JeuneDip.com par exemple), j’ouvre plusieurs fenêtres à la fois et je tape des milliers de mots sur mon clavier. Au prix d’une immense frustration cependant : j’ignore comment tout cela est possible. Comment les ordinateurs s’allument, comment Internet fonctionne et par quel moyen magique je peux recevoir votre annonce dans ma poubelle. J’aimerais percer les mystères de l’informatique, passer de l’autre côté de la Toile, pénétrer les coulisses du système.

En d’autres termes, je crois que mon désir de community management se confond dans un seul et même désir de comprendre le monde qui, paraît-il, touche à sa fin. Vous comprendrez que je ne peux pas mourir sans avoir optimisé du « netlinking », par exemple.

Je suis sûre qu’il s’agit d’une expérience formidable, que seuls les grands de ce monde éprouvent. Je ne peux pas non plus mourir sans « backlinker les contenus », « surfer en CSS » ou « fluxer du HTML ». Moi aussi je veux entrer en communication extraterrestre, « buzzer de la vibe », « switcher du flex » et « mixer du monitoring ».

Je ne veux pas mourir bête, sans avoir compris de quoi il s’agit. Sans SAVOIR. Sans connaître, sans comprendre ce qui vous pousse, un soir de décembre, à remuer les Casino 3000 et les faux Paypal de ma poubelle, à vous extirper des décombres de Pixmania Noël et de Tati.fr pour venir vous vanter de m’accompagner tout au long de ma vie. Comme si ma vie avait besoin d’accompagnement. Comme si vous étiez Dieu, et moi, le pape. Comme si la vie n’avait pas été assez dure jusque-là.

Je vous prie donc, pour mon bien, celui de la communauté et du management dont vous dégradez l’image, de bien vouloir arrêter de polluer ma corbeille, au risque qu’elle vous explose un jour au visage et vous inonde de lettres de Sara Fistole.

En vous remerciant de votre compréhension,

Sara Fistole.

La réponse de J’ai Lu

La lettre

La réponse de J’ai Lu :

Merci pour votre envoi. Cela dit, je ne peux pas ouvrir votre CV, merci de me le faire parvenir sous une forme lisible.

Bien cordialement,

I Hénique.

Ma re-réponse :

Madame,

J’ai lu votre réponse. Malheureusement, je ne peux vous fournir de CV lisible à ce jour. N’ayant jamais été embauchée de manière concrète, je n’ai aucune expérience significative dans le domaine du travail, à part quelques stages non déclarés qui n’ouvrent pas de droits au chômage, ni à la retraite, ni à la sécurité sociale. Je ne vois donc pas l’intérêt de les mentionner puisque les entreprises concernées n’ont rien cotisé. Même si elles sont autorisées par la loi, il s’agit ni plus ni moins d’une forme d’esclavage. Afin de préserver ma dignité en tant que personne, je refuse donc de leur accorder la moindre ligne sur mon CV. Cela voudrait dire que je suis prête à travailler gratuitement, ce qui, avouez-le, est un scandale.
Cependant, je peux éventuellement vous joindre mes précédentes lettres de motivation, qui correspondent à ma seule véritable expérience : chercher un travail.

Bien cordialement.

Sara Fistole.

La re-réponse de J’ai Lu :

Je vous remercie pour toutes ces précisions très claires, en effet. Mais travaillant dans une entreprise qui fonctionne sur des bases traditionnelles, je ne peux vous proposer de stage sans CV.

Je vous souhaite très sincèrement de trouver un stage qui corresponde à vos valeurs.

Bien cordialement,

I Hénique.

Ma re-re-réponse :

Bien sûr, je comprends tout à fait votre démarche, et je vous souhaite bon courage dans vos recherches. Les stagiaires sont de plus en plus coriaces ces temps-ci, il est bien difficile de trouver chaussure à son pied. Gardez espoir ! Merci pour vos encouragements, j’ai plusieurs candidatures qui m’attendent et que je m’en vais retrouver de ce pas.

Bonne journée.

Sara Fistole.

J’ai Lu

Madame, Monsieur,

J’ai lu votre annonce.

D’une manière générale, je dirais qu’il manque une structure, un peu de clarté, une entrée en matière : quelque chose qui donne envie, une petite étincelle qui encourage à postuler. Vous n’êtes pas sans savoir que le jeune diplômé est un être solitaire et dépressif. Surtout en cette période de Noël où il observe, la larme à l’œil, les salariés du monde entier se bousculer à la caisse de la Fnac pour un nouvel Ipad.

Il lui faut du rêve, un peu de guirlandes lumineuses autour de ce sapin qu’il n’a pas et qu’il envie à ses voisins. Oui, le jeune diplômé souffre : il a besoin d’un peu de chaleur au fond de son cœur, de tickets-restaurant et d’une carte de transports. Il faut venir le chercher, lui prendre la main et lui promettre le bonheur.

Or, votre offre de stage n’est guère plus convaincante qu’une liste de courses. Il aurait fallu introduire votre sujet, établir une problématique pertinente, la développer en plusieurs points et trouver LA formule de conclusion qui nous donne envie, à nous, jeunes diplômés, de donner une suite favorable à votre appel. Car nous n’avons pas choisi de recevoir une offre de stage de votre part, c’est vous qui demandez un stagiaire pour remplacer un poste vacant ou un congé maternité, peu importe. En cela, vous nous devez le respect.

Sachez que nous sommes prêts à vous offrir nos compétences littéraires et notre amour du travail bien fait. Mais je suis désolée, votre annonce n’est pas attirante. Votre description est molle, sans intérêt : vous ne manifestez aucune motivation. Avez-vous pensé que nous hésitons chaque jour entre mille offres de stage ? La concurrence est rude et vous n’avez aucune chance de nous obtenir si vous ne faites pas un petit effort.

Nos vies valent plus qu’une liste de courses. Nous avons le droit à des phrases entières et à une ponctuation élaborée. Ne serait-ce qu’un tiret, une conjonction, un complément d’objet, que sais-je encore, un point d’exclamation ! Un peu d’entrain ! Mais non. Vous vous contentez de mots-clés et de morceaux d’idées. Sans compter cette manière autoritaire que vous avez d’imposer les mois de DECEMBRE et JANVIER, en majuscules, comme si c’était un ordre, une menace, un monstre. Comme si le jeune diplômé n’avait pas de vie à côté, alors que LES VACANCES DE NOEL NE SERONT MEME PAS TERMINEES. IMAGINEZ UN PEU UNE CANDIDATURE EN MAJUSCULES ET VOYEZ COMME C’EST AGACANT. On ne peut même pas faire de C cédille. Vraiment, les lettres minuscules seraient plus appropriées. Moins prétentieuses, plus accueillantes. Une convention de stage n’a pas besoin d’être en majuscules pour être OBLIGATOIRE. Le mot suffit de lui-même, vous ne trouvez pas ?

Face à cette annonce, nous sommes donc en droit de douter de votre qualité de maison d’édition, d’autant plus que vos libertés typographiques traduisent un certain mépris des candidats. Pour cette raison, je vous prierais de revoir votre copie et de nous l’adresser à nouveau, en tenant compte de mes remarques. Je vous promets d’y regarder de plus près, une fois que j’aurai votre nouvelle version.

Vous remerciant par avance du soin que vous voudrez bien apporter à votre annonce, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, TOUTE MA CONSIDERATION POUR LA LANGUE FRANCAISE.

Sara Fistole.

La réponse de J’ai lu