Devoir de Mémoire

Stagiaire photothèque

La photothèque du Mémorial de la Shoah possède un très grand nombre de photos des victimes de la Shoah en France. Le travail consiste à les identifier et à rechercher leur parcours à travers des bases de données disponibles au Mémorial. Sur la base de 424 euros pour un plein temps, chèques déjeuner, remboursement Navigo.

Madame, Monsieur,

Diplômée d’un Master 2 d’Etudes cinématographiques, je connais surtout l’histoire de la Shoah à travers le film de Claude Lanzmann. Cependant, mes origines juives m’ont toujours poussée à m’y intéresser davantage, d’autant plus que mon arrière-grand père résistant fut déporté dans un camp où il trouva la mort. Comme il était philosophe, je ne peux que lui rendre hommage dans cette présente lettre que je vous envoie en guise de candidature, même si son nom ne figure pas sur le mur du Mémorial.

Je trouve qu’il s’agit là d’une belle mission que de retracer le parcours des victimes de la Shoah, d’associer des noms aux visages anonymes, et ainsi de les sauver des abimes de l’oubli. Beaucoup s’y sont attelés, en souvenir de leur famille ou simplement dans le cadre de recherches historiques, et le travail d’archiviste exigé par une telle mission doit être extrêmement difficile et éprouvant.

Dans le camp de concentration où il a été déporté, mon arrière grand-père a travaillé comme tant d’autres prisonniers sous les ordres des nazis, menacé chaque seconde par le froid et les fusillades. En échange de son labeur et pour le maintenir à l’état de survivant, on lui jetait quelques bols de « soupe » à la figure. La philosophie et la religion l’ont probablement aidé à tenir aussi longtemps, même si le mystère insondable de sa mort l’a emporté dans une fumée noire. Jusqu’au dernier instant de sa vie, mon arrière grand-père a dû nourrir son esprit de philosophie, et s’il était resté en vie, il aurait peut-être inventé la formule de Hannah Arendt : « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal ».

Parfois, je l’imagine vivant auprès de moi et j’entends ses réflexions à propos de notre société et ses travers. Par exemple et parce que cela me concerne, les jeunes diplômés d’aujourd’hui en sont réduits à accepter des stages pour éviter le chômage. Parce que les jeunes sont ainsi devenus légalement rentables, les entreprises les maintiennent dans un état de faiblesse nécessaire à la bonne santé des chiffres d’affaires. Ainsi, ils mourront de faim et ils n’auront pas le choix, obligés de travailler pour un tiers du SMIC. Mon arrière grand-père m’aurait sûrement expliqué qu’il s’agit-là d’un mécanisme économique alléchant pour conserver le pouvoir, et que les entreprises finiront par se créer des besoins en stages là où il n’y en a pas, dans le but de multiplier leurs profits.

Je ne suis pas certaine que mon arrière grand-père m’aurait encouragée à postuler à votre annonce, étant donné que vous contribuez vous-mêmes, et comme tant d’autres, à insérer les jeunes dans la misère. Grâce aux 424 euros par mois que vous leur donnez en guise de gratification, vous leur proposez tout juste de survivre, comme s’ils n’avaient pas les mêmes besoins que les autres hommes. Que voulez-vous faire de 424 euros à Paris comme ailleurs ? Face à ce salaire humiliant, nous sommes bien obligés de nous soumettre. Cette soumission arbitraire et forcée nous enlève chaque jour un peu de notre humanité, réduits à l’état de mendiants du travail payé. Ce n’est pas parce que cette loi existe qu’elle est juste, il me semble que l’Histoire l’a souvent démontré.

Par respect pour mon arrière grand-père, mon devoir de mémoire m’impose finalement d’écarter toute candidature à votre poste, malgré tout l’intérêt que j’y porte pour des raisons évidentes. De même que, par respect pour moi-même, je ne pourrais supporter le paradoxe de travailler presque gratuitement pour contribuer à la sauvegarde de la mémoire de la Shoah.

En vous remerciant pour votre compréhension, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.

Sara Fistole.

Solidarité forcée

Chargé de recrutement

Mission 1: Recrutement de personnel.
– Sourcing : recherche de candidats sur les différents supports selon les profils recherchés (jobboards, annonces passées, réponses, candidatures spontanées)
– Pré -sélection téléphonique et convocation aux entretiens
– Réaliser les entretiens individuels et tests techniques.
– Relance de candidats inscrits au sein du groupe pour mise à jour des candidats disponibles et relance spécifique en fonction des commandes actives puis prise de RDV
– Diverses tâches administratives : classement des CV et candidatures de l’agence…
Mission 2 : Gestion des annonces
– Diffusion d’annonces sur les sites.
– Détection des sites en synergie avec les métiers de l’agence

Personnalité : Sens du service, réactif, rigoureux, excellent relationnel, polyvalent et sachant gérer ses priorités.

Cher camarade stagiaire,

Le monde est sans queue ni tête, n’est-ce pas. Etant toi-même stagiaire en recrutement, te voici en train d’assurer ta propre succession. Le futur stagiaire fera de même à son tour dans six mois, et ainsi de suite. C’est un peu comme être à la recherche du remplacement de soi-même, et j’imagine à quel point ce doit être difficile à vivre. Je suis là si tu veux te confier, si toutefois tu en ressens le besoin. En tout anonymat, tu peux également t’adresser au collectif Génération Précaire, il t’offriront un masque blanc pour défiler dans la rue et crier ta colère. Je me souviens également qu’il existe, au sein des universités, des cellules de conseil et de crise en cas de surmenage lié au travail en entreprise. Personnellement à une certaine époque, je dessinais sur un papier, pour me soulager, les plans de l’open-space en couleurs. L’art exorcise les angoisses, parfois.

Par simple curiosité, j’aimerais savoir, si toutefois tu veux bien me répondre malgré la pression hiérarchique et l’espionnage probable des mails, comment se passe un entretien de stagiaire à stagiaire. S’agit-il d’une forme de miroir douloureux ou bien prends-tu plaisir à mener cet entretien en dissimulant ton statut ? J’imagine que le service des ressources humaines ne permet pas une telle liberté et que tu dois porter le masque du recruteur impitoyable, malgré ta compassion évidente face au camarade stagiaire.

Entrons davantage dans le vif du sujet, puisque je suis moi-même en train de postuler à cette offre de stage. Je t’avouerais à première vue que cette annonce n’est pas franchement en lien avec mes études de cinéma, malgré mes expériences de casting. La première mission consiste à faire du « sourcing » : s’agit-il d’un anglicisme désignant la recherche de sources ? Je trouve ce mot un peu laid, mais je veux bien croire qu’il existe. Je dois t’avouer que je ne comprends pas grand chose à la suite de la liste, mais je veux bien faire un effort si tu m’aides à y voir plus clair. Par ailleurs, comme le salaire n’est pas précisé, je me demande s’il est à 30% du SMIC comme tous les stages, ou si ton entreprise a décidé d’augmenter la gratification sans attendre la prochaine loi.

Pour finir, je t’avoue que le profil recherché correspond, il me semble, exactement à ma personnalité. Ayant été serveuse dans plusieurs établissements, on peut dire que j’ai le sens du service. J’imagine que ce trait de caractère fait référence au service de café, qui n’a plus aucun secret pour moi après des années d’expérience. Je sais également faire des photocopies, acheter le papier toilette le moins cher sans oublier de demander les factures au Monoprix.

En revanche, la dernière formule m’interpelle : il faut savoir « gérer ses priorités ». Excuse-moi, mais je ne comprends pas de quelles priorités il est question dans le cadre de ce stage. S’agit-il de faire du stage une priorité ? Personnellement, mes priorités actuelles seraient de me nourrir, de m’habiller, et de pouvoir aller au cinéma. Autant dire le minimum vital. Entre nous, si le travail était une priorité, je pense que nous serions vite devenus des robots sans âme, non ? J’espère à ce titre que tu ne m’enverras pas de réponse automatique.

Cher camarade stagiaire, je te souhaite bien du courage. J’espère que ma lettre de motivation t’aura réchauffé le coeur un instant, et n’hésite pas à me contacter si mon profil t’intéresse. Et surtout, n’oublie pas : Tiens bon ! On finira bien par les avoir !

Amicalement,

Sara Fistole.

SOS Stagiaire

Urgent, graphiste

Stage graphisme à mi-temps (jours à définir)
Stage 1 mois minimum
Salaire envisagé : 200

Madame, Monsieur,

Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je me permets de postuler au nom de mon amie Catherine, graphiste depuis presque un an et ne trouvant pas de travail. Malgré mes tentatives répétées pour la convaincre de postuler à votre annonce intéressante, elle ne veut rien savoir. Pourtant, ses qualités sont nombreuses, et je regrette que son excellente formation à l’Ecole Nationale des Graphistes ne soit pas suffisamment reconnue auprès des recruteurs. Ayant fait plusieurs stages dans la publicité, elle est désormais très compétente et capable d’exécuter des commandes avec la plus grande rigueur.

Malheureusement, mon amie ne veut plus faire de stage, persuadée qu’elle serait forcément « exploitée comme une esclave » (ce sont ses mots), pour « pas un rond à la fin du mois ». J’ai beau lui dire que des temps meilleurs viendront et qu’il faut pour l’instant accepter cette situation, elle a décidé de boycotter toutes les annonces en-dessous du SMIC. Or, je ne supporte plus de la voir ne rien faire, demander de l’argent à droite à gauche et fouiller les poubelles pour récupérer de quoi manger. En effet, son RSA ne lui permet pas de vivre dignement, et les 200 euros que vous proposez pour un mi-temps lui donneraient peut-être l’occasion, parfois, de se préparer un repas chaud, et de s’acheter, éventuellement, des produits de première nécessité. Cela lui laisserait également le temps pour continuer à chercher du travail. Il n’est pas impossible non plus d’envisager que vous puissiez l’embaucher au terme de sa période de stage, même si ces pratiques, je le comprends, sont devenues assez rares.

Je ne sais plus comment la convaincre, et je manque personnellement d’arguments en faveur des stages qui, vous le savez bien, sont toujours mieux que rien. C’est pourquoi je vous écris pour vous demander de l’aide : j’aimerais que vous lui adressiez vous-même votre candidature pour être son employeur, ce qui ne manquerait pas de la rassurer. Je suis certaine que vous possédez toutes les compétences nécessaires pour prétendre à son embauche, et que vous avez ainsi tout intérêt à tenter votre chance. Je suis réellement inquiète quant à son avenir, et je crains qu’elle soit déjà, à l’heure où je vous écris, dans un état critique proche de la folie.

S’il vous plaît, Madame, Monsieur, ne la laissez pas sombrer dans la dépression et compatissez à son sort. Je pense qu’elle vous en sera éternellement reconnaissante, si toutefois elle est encore en vie lorsqu’elle aura reçu votre lettre. Je vous en prie, faites vite, le temps nous est compté. Vous pouvez envoyer votre message directement sur mon adresse e-mail pour être sûr qu’elle le recevra.

En vous remerciant par avance de la bonté dont vous ferez preuve, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, toute l’expression de mes sincères salutations.

Sara Fistole.