Le sens du sens du service

Hôtesses d’accueil dans le domaine culturel

Madame, Monsieur,

Diplômée depuis cette année d’un bac+ 5 dans la Culture, je suis naturellement intéressée par le poste que vous proposez dans ce domaine culturel qui est le vôtre. A la recherche d’un emploi depuis le mois de septembre, je suis entièrement flexible du lundi au dimanche ainsi que les jours fériés, de 8h à 20h sans interruption, et plus encore si besoin. Cependant, malgré ce large éventail de disponibilités, je pourrais difficilement vous servir pendant mon sommeil, en raison de l’inactivité de mon corps censé récupérer de ses efforts la nuit.

Mon profil étant composé de cheveux roux, yeux noisettes, 1,65 m, pointure 36, taille 38, bonnet 85 D, je suis capable de compétences agréables en accueil téléphonique et physique grâce aux stages que j’ai déjà effectués dans le domaine culturel depuis 2008. En effet, mes expériences en tant que décor de bureau et figurante de passage dans les différentes sociétés où j’ai exercé, assurent aux personnes concernées une totale discrétion et un sens inégalé du sens du service, sans oublier l’entière satisfaction éprouvée par la clientèle à maintes reprises. J’ai par ailleurs souvent reçu en récompense de mon accueil physique quelques billets verts glissés avec délicatesse dans les plis de mon chemisier. Ce petit frisson agréable me permet de tenir, lorsque parfois je sens faiblir mon courage. Il n’est pas rare en effet d’obtenir des avantages en nature dans le domaine culturel, et j’ose espérer que votre poste est soumis aux heures supplémentaires spéciales auxquelles les hôtesses peuvent prétendre, de par leur excellente présentation qui n’est pas sans conséquences.

C’est pourquoi, afin d’être en adéquation avec le salaire de 1020 à 1600 euros brut que vous indiquez, je vous propose ma silhouette brute, éventuellement épilée mais sans accessoire particulier. Il me semble honnête et approprié de vous réclamer 100 euros TTC pour chaque vêtement optionnel, ces suppléments ayant un coût important pour mon budget. A moins que soient prévus les habits des hôtesses, ce qui annulerait bien évidemment ma proposition, en espérant cependant que les uniformes imposés soient alléchants pour le client et reconnaissables par lui, afin de ne pas perdre les bénéfices liés à la fidélité.

Par ailleurs, je suis certaine que votre clientèle internationale appréciera mes qualités multilinguales : après huit ans d’université, je me ferais une joie de soumettre mes capacités intellectuelles à votre service, car j’ai longtemps espéré qu’elles favorisent mon insertion professionnelle dans le domaine culturel. Ce jour arrive enfin, après d’interminables combats pour y parvenir : vous m’offrez cette chance et je vous en remercie infiniment par avance.

Cependant, j’aimerais revenir sur ce que vous appelez « Le sens du sens du service ». Si je comprends une telle exigence car elle est de mise dans le domaine culturel, j’ignore dans quel sens vous espérez ce sens du service, ni dans quelle posture précisément. J’ai appris lors de mes stages à me tenir debout et silencieuse, à rester figée contre les murs d’un bureau, voire m’accroupir dans des lieux improbables à certaines occasions. J’ai également pu travailler la position allongée dans de rares circonstances, mais aussi la posture à genoux lorsque je n’avais guère le choix.

Si votre poste implique en revanche de se rabaisser davantage, qu’il s’agisse de moquette ou de carrelage, je ne saurais l’accepter pour des questions d’éthique. Je refuse catégoriquement de ramper sur le sol pour vous lécher les bottes sous une chaise, même si mon statut actuel m’y oblige implicitement en raison du peu d’opportunités de travail. Sachez que je préfère rester digne, même si dans le domaine culturel je vous l’accorde, ce n’est pas chose facile.

Bien cordialement.

Sara Fistole

Ambiance de folie

Salut Gwen  !

Permets-moi de te tutoyer, ainsi que tu le proposes dans ton annonce ! Je pense que dans l’animation nous sommes tous jeunes, cool et de bonne humeur, et que le vouvoiement serait donc un peu trop lourd et sérieux entre nous ! Je suis très heureuse de postuler à ton annonce qui m’inspire une motivation énorme pour être la personne qu’il te faut  !

Pour me présenter, je suis une fille super sympa et très drôle ! Titulaire du BAFA depuis 2003, l’animation m’est tout de suite apparue comme une véritable vocation et mes expériences ne m’ont jamais déçue par la suite  ! Pour mon stage d’approfondissement, j’ai choisi de me spécialiser dans le domaine de la boum et des jeux en centres de vacances ! Je suis donc très expérimentée en veillées, sonos DJ et lumières, balles au prisonnier, grands jeux et Loup Garou autour du feu, mon activité préférée, en faisant fondre des chamallows bien sûr  !

De plus, comme je ne lâche jamais ma guitare et mon diapason rouge, je suis capable d’égayer une journée morose par de multiples coupures musicales et enchantées  ! Les enfants m’adorent et me réclament la chanson du Matou plusieurs fois par jour, ma spécialité  ! Je fais partie de ces animateurs survoltés qui ne se lassent jamais de la cacophonie de la cantine, des nuits de réunion interminables, des sorties au zoo et des activités très chères qu’on n’a jamais l’occasion de pratiquer dans un autre contexte ! Par exemple, l’accro-branches a été une véritable découverte que mes parents ne m’auraient jamais offerte, et j’en garde un souvenir exceptionnel  ! Je suis impliquée à fond dans mon rôle et mes responsabilités car contrairement aux apparences, je pense que l’animation est un vrai métier  ! Ce n’est pas parce que les animateurs sont toujours heureux de vivre qu’ils ne sont pas travailleurs, bien au contraire  ! C’est la beauté de ce métier qui les fait se lever chaque matin, ou même poursuivre leur nuit blanche  ! Car, malgré leur énergie inépuisable, les animateurs ne dorment jamais, d’où leurs erreurs parfois !

Par exemple, un jour où je n’avais pas trouvé le temps de dormir à cause d’un collègue qui m’avait versé un sceau d’eau entier sur la tête en guise de bizutage, je me suis trompée en comptant les enfants pour l’activité du matin, et j’en ai oublié un  ! Le pauvre est resté toute la journée dans le centre déserté, à pleurer à chaudes larmes  ! Je pense qu’un animateur doit être réactif, perpétuellement réveillé, à l’affût des dangers et toujours disponible, car même la vie des enfants peut être en jeu ! Mais comme tu le dis toi-même, il faut aussi savoir les mater tout en restant pédagogue, un qualificatif qui me correspond particulièrement ! Ce qui n’empêche pas une super ambiance, évidemment  !

C’est pourquoi je trouve que le salaire que tu proposes de 176 euros pour 8 jours, ça envoie du lourd ! 22 euros par jour sans pause ni nuit de repos pour animer un séjour de folie  ? Un euro de l’heure pour 22 heures de travail ? Je dis OUI, trois fois OUI, pour être payée à vivre cette expérience exceptionnelle ! CAR POUR LE BIEN-ÊTRE DES ENFANTS, LEUR EPANOUISSEMENT PERSONNEL ET LA QUALITE DE LEURS VACANCES, DONNONS LE MEILLEUR DE NOUS-MÊMES, DE NOS RESSOURCES ET DE NOTRE IMAGINATION POUR PAS UN ROND ! N’AYONS PAS PEUR DE BRADER LE METIER D’ANIMATEUR AU RISQUE DE LE FAIRE PASSER POUR UN GUIGNOL, CE QU’IL EST DE TOUTE FAÇON AU REGARD DE TOUS, NOTAMMENT GRACE À TOI ET TON ANNONCE !

Cher Gwen, même en forme, je reste fatiguée de croiser des offres comme la tienne, et je compatis au sort des futurs enfants qui seront épuisés d’avance par cette pédagogie de la dynamite. Merci pour eux.

Sara Fistole.

Un monde meilleur

Stagiaire de rêve

UN MONDE MEILLEUR est une société de production qui développe des projets atypiques et ambitieux. Aucune expérience, un bon sens du rangement et de l’ordre, des chiffres et de l’organisation. Curieux, cultivé, autonome, drôle et responsable. 420 euros.

Madame, Monsieur,

Etant moi-même atypique et ambitieuse, je pense pouvoir, en toute modestie, correspondre au profil que vous recherchez. En effet, vous remarquerez sans trop tarder que cette présente lettre ne ressemble à aucune autre, et j’entends par là vous convaincre de mon originalité et du caractère unique de ma candidature. Sachez toutefois que n’ai pas l’intention, comme il est d’usage, de me présenter à vous derrière un tissu de mensonges et de prétentions inutiles. Exaspérée par l’absence systématique de réponse de la part des employeurs, je préfère être honnête, même si cette qualité peut parfois être désagréable à certains.

Contrairement à de nombreuses autres sociétés, je constate que vous ne recherchez pas un étudiant sur-diplômé qui en plus d’être trilingue aurait eu l’expérience de tous les postes dans l’audiovisuel, depuis le casting jusqu’au montage en passant par la régie. J’apprécie votre simplicité. Malheureusement, je pense être bien trop expérimentée pour correspondre parfaitement à votre poste, étant donné que j’ai déjà eu l’occasion de faire plusieurs stages dans l’audiovisuel. Dans un monde meilleur, ils auraient débouché sur un emploi. Ce n’est pas le cas.

En toute sincérité, je vous avoue par ailleurs que je n’ai ni le sens de l’ordre, ni celui du rangement et encore moins celui des chiffres, ces contraintes étant plutôt à l’opposé de mes ambitions. J’aime le désordre, j’ai besoin de le créer et de me mouvoir dedans. Je hais les chiffres, ils jouent rarement en ma faveur et remettent souvent en cause mes activités. Je ne comprends pas en quoi ils seraient indispensables pour ce stage, puisque dans un Monde Meilleur il me semble, les chiffres n’existeraient pas. Encore moins celui de 420 euros, car étant inférieur au SMIC, il mériterait d’être considéré comme illégal. Ce jour viendra.

Mais dans notre monde moins pire que le pire mais pire que meilleur quand même, on réclame, encore et toujours, des stagiaires. Des stagiaires motivés, enthousiastes, curieux, autonomes, discrets, doués, drôles, disponibles, beaux, souriants, respectueux et responsables. Mais responsables de quoi ? D’être jeunes au mauvais moment, je crois. Il est certain que dans un monde meilleur, tous les stagiaires formeraient un bloc pour refuser en masse les annonces de stages, qu’elles soient légitimes ou pas, qu’elles soient pires ou meilleures que les autres. Je vous prie par conséquent de bien vouloir accepter mon refus à votre poste, pour toutes les raisons que j’ai citées plus haut, et bien d’autres encore.

Dans l’attente d’un monde meilleur,

Sara Fistole.

Devoir de Mémoire

Stagiaire photothèque

La photothèque du Mémorial de la Shoah possède un très grand nombre de photos des victimes de la Shoah en France. Le travail consiste à les identifier et à rechercher leur parcours à travers des bases de données disponibles au Mémorial. Sur la base de 424 euros pour un plein temps, chèques déjeuner, remboursement Navigo.

Madame, Monsieur,

Diplômée d’un Master 2 d’Etudes cinématographiques, je connais surtout l’histoire de la Shoah à travers le film de Claude Lanzmann. Cependant, mes origines juives m’ont toujours poussée à m’y intéresser davantage, d’autant plus que mon arrière-grand père résistant fut déporté dans un camp où il trouva la mort. Comme il était philosophe, je ne peux que lui rendre hommage dans cette présente lettre que je vous envoie en guise de candidature, même si son nom ne figure pas sur le mur du Mémorial.

Je trouve qu’il s’agit là d’une belle mission que de retracer le parcours des victimes de la Shoah, d’associer des noms aux visages anonymes, et ainsi de les sauver des abimes de l’oubli. Beaucoup s’y sont attelés, en souvenir de leur famille ou simplement dans le cadre de recherches historiques, et le travail d’archiviste exigé par une telle mission doit être extrêmement difficile et éprouvant.

Dans le camp de concentration où il a été déporté, mon arrière grand-père a travaillé comme tant d’autres prisonniers sous les ordres des nazis, menacé chaque seconde par le froid et les fusillades. En échange de son labeur et pour le maintenir à l’état de survivant, on lui jetait quelques bols de « soupe » à la figure. La philosophie et la religion l’ont probablement aidé à tenir aussi longtemps, même si le mystère insondable de sa mort l’a emporté dans une fumée noire. Jusqu’au dernier instant de sa vie, mon arrière grand-père a dû nourrir son esprit de philosophie, et s’il était resté en vie, il aurait peut-être inventé la formule de Hannah Arendt : « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal ».

Parfois, je l’imagine vivant auprès de moi et j’entends ses réflexions à propos de notre société et ses travers. Par exemple et parce que cela me concerne, les jeunes diplômés d’aujourd’hui en sont réduits à accepter des stages pour éviter le chômage. Parce que les jeunes sont ainsi devenus légalement rentables, les entreprises les maintiennent dans un état de faiblesse nécessaire à la bonne santé des chiffres d’affaires. Ainsi, ils mourront de faim et ils n’auront pas le choix, obligés de travailler pour un tiers du SMIC. Mon arrière grand-père m’aurait sûrement expliqué qu’il s’agit-là d’un mécanisme économique alléchant pour conserver le pouvoir, et que les entreprises finiront par se créer des besoins en stages là où il n’y en a pas, dans le but de multiplier leurs profits.

Je ne suis pas certaine que mon arrière grand-père m’aurait encouragée à postuler à votre annonce, étant donné que vous contribuez vous-mêmes, et comme tant d’autres, à insérer les jeunes dans la misère. Grâce aux 424 euros par mois que vous leur donnez en guise de gratification, vous leur proposez tout juste de survivre, comme s’ils n’avaient pas les mêmes besoins que les autres hommes. Que voulez-vous faire de 424 euros à Paris comme ailleurs ? Face à ce salaire humiliant, nous sommes bien obligés de nous soumettre. Cette soumission arbitraire et forcée nous enlève chaque jour un peu de notre humanité, réduits à l’état de mendiants du travail payé. Ce n’est pas parce que cette loi existe qu’elle est juste, il me semble que l’Histoire l’a souvent démontré.

Par respect pour mon arrière grand-père, mon devoir de mémoire m’impose finalement d’écarter toute candidature à votre poste, malgré tout l’intérêt que j’y porte pour des raisons évidentes. De même que, par respect pour moi-même, je ne pourrais supporter le paradoxe de travailler presque gratuitement pour contribuer à la sauvegarde de la mémoire de la Shoah.

En vous remerciant pour votre compréhension, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.

Sara Fistole.

Les secrets de Hadopi

Offre de stage Pôle photo FNAC

Missions :  Logistique des expositions Photo Fnac 60%
Coordonner les expositions dans les différentes galeries photo Fnac en relation avec les artistes. Gérer le calendrier des rotations des expositions. Suivi et Coordination avec les responsables des magasins. Suivi du site internet et de la page galerie photo. Envoi des emailings, newsletter.
Salaire envisagé : 850 euros/mois.

Madame, Monsieur,

Tout d’abord je tiens personnellement à vous féliciter concernant l’indemnité double que vous proposez pour ce stage. En effet, la loi a fixé les gratifications de stage à 30% du SMIC et vous avez choisi par vous-même de les augmenter alors que vous n’étiez pas obligés. Malgré votre secteur en crise face à la recrudescence des téléchargements illégaux de musique et de films, cette augmentation est absolument courageuse de votre part. Je suis personnellement émue par votre générosité et je vous adresse en conséquence ma candidature qui, je l’espère, sera à la hauteur de vos espérances.

Cependant et avant toute prétention de ma part, permettez-moi de soulever certains points qui n’ont pas échappé à ma curiosité à la lecture de cette annonce. Si je comprends bien, vous attendez d’un stagiaire qu’il effectue la coordination d’expositions, la gestion d’un calendrier, la mise en place et le suivi des festivals, le suivi des collections, la médiatisation des expositions, la fabrication de tous les supports de communication, la gestion en ligne sur la communauté FNAC, le suivi du site internet, la mise en place des partenaires média et la gestion des fichiers. Sauf erreur de ma part, il me semble que toutes ces fonctions assemblées bout à bout correspondent à un emploi du temps largement supérieur à 35h par semaine. Je vous remercierais de préciser si ce poste de stagiaire est éligible aux heures supplémentaires, et si oui, à quel taux elles sont fixées. Ce détail complémentaire me permettrait de trancher rapidement quant à l’intérêt de votre poste et, par conséquent, validerait ma candidature.

Par ailleurs, après quelques recherches rapides entre ces deux paragraphes, j’ai cru apercevoir que le chiffre d’affaires de la FNAC était supérieur à deux milliards, et en constante augmentation à chaque trimestre. Madame, Monsieur, ce n’est pas honnête. Je me vois obligée d’annuler immédiatement mes félicitations en introduction de cette lettre. La gratification de 850 euros dont vous voulez bien vous décharger comme l’océan pourrait se décharger d’une goutte d’eau, n’est pas une reconnaissance suffisante face aux compétences que vous exigez. Permettez-moi de penser que vous incitez vous-même au piratage, ce dont vous osez vous plaindre au risque de perdre du bénéfice. N’êtes-vous pas vous-mêmes les pirates modernes de l’exploitation des stagiaires ?

Pour ces raisons, Madame, Monsieur, j’ai décidé sans regrets de refuser moi-même ma candidature à ce poste. Croyez bien que par votre attitude, vous vous privez ainsi de grands talents comme le mien, et qu’à ce titre, vous foncez droit dans le mur.

En espérant que votre conscience professionnelle évolue un jour dans le bon sens, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de ma plus sincère révolte.

Sara Fistole.

Discrimination vestimentaire

Stage Assistant de production

Gestion administrative des différents projets en cours
Préparation des dossiers de demandes d’aides. Lecture de scénarios et fiches de lecture. Une expérience précédente dans la production cinématographique est un plus. Casquette régie appréciée.

Madame, Monsieur,

Permettez-moi de vous informer que votre annonce ressemble à beaucoup d’autres et qu’il faut malheureusement savoir lire entre les lignes pour comprendre réellement de quoi il s’agit. Ainsi, vous vantez des responsabilités a priori valorisantes comme la gestion administrative des projets en cours, alors que vous savez bien, comme moi pour l’avoir pratiqué, qu’il faut simplement classer des dossiers, répondre au téléphone et faire les commandes des fournitures de bureau, pour ne citer que les activités principales. De même, les lectures de scénario, exercices a priori alléchants, sont un prétexte pour isoler le stagiaire dans une bulle intellectuelle afin de s’auto-persuader qu’on lui donne quelque chose à faire. Par ailleurs vous précisez qu’une « expérience précédente dans la production cinématographique serait un plus », alors que vous savez comme moi que lorsqu’on a appris à ranger des dossiers, à mettre des timbres sur des enveloppes ou à organiser des rendez-vous, on n’a plus rien à apprendre d’un stage dans l’audiovisuel.

Avouez-le, ce n’est pas honnête. Je sais bien que vous n’avez pas les moyens, c’est toujours une bonne excuse quand on travaille dans le secteur du cinéma et il est bien confortable d’attribuer les tâches les plus ingrates à un stagiaire de passage. Mais de là à suggérer le port d’une casquette pour la régie, je trouve que vous dépassez les bornes. Non seulement le stagiaire est suffisamment mis à l’écart, notamment pendant les pauses repas où il va réchauffer son tupperware au micro-ondes, mais il faudrait en plus qu’il porte une casquette pour qu’il soit davantage identifiable. Ainsi, lorsqu’il s’en va acheter des disques durs pour la post-production, mission gentiment appelée « assistant de post-production », sa fonction devrait en plus être inscrite sur sa casquette, afin d’enfoncer le couteau dans la plaie, et achever de l’humilier sur la place publique. A quand le t-shirt « stagiaire » ou le pin’s « génération précaire »?

Je sais bien, hélas, que vous aurez de nombreuses réponses à votre annonce de stage, et que sans être habités par le moindre scrupule vous sélectionnerez celui qui aura une expérience supplémentaire, et celui qui sera déjà détenteur d’une casquette afin de minimiser les frais de la régie. Je sais également que vous n’avez que faire de mon indignation et que vous trouverez indéfiniment à votre conscience des arguments en faveur d’une telle annonce, dans ces périodes de crise et de chômage, etc. Certes, j’imagine que votre conscience en a bien besoin pour se regarder dans la glace chaque matin, mais sachez que nous sommes les boucs-émissaires qui participons à ce reflet positif dans lequel vous espérez vous contempler sans honte et sans regrets. Avouez que dans un certain sens, vous nous devez le respect.

Bien cordialement,

Sara Fistole.

Voir la réponse du destinataire et la mienne par la suite…

Ikéa, à monter soi-même

Traitement de documents d’archives en suédois

Pour experte en tableaux, marchande d’art et historienne d’art. Il s’agira de traduire et classer des documents (livres, archives…) du suédois vers le français. Personnalité autonome et rigoureuse. Salaire : 417,08 euros. Paris 7e arrondissement.

Chère madame,

Ayant passé une année Erasmus en Suède dans le cadre des mes études d’Archives, je pense pouvoir correspondre parfaitement à votre profil. Depuis mon retour à Paris, je ne passe pas une semaine sans aller au Sauna de mon quartier, et pour évacuer la nostalgie de ces paysages d’hiver magnifiques, j’ai accroché au mur mes photos de Suède qui trônent tels des tableaux. Je donnerais tout pour replonger dans cet univers magique et il me semble enfin, grâce à votre annonce, que ce rêve redevienne à portée de main.

Afin d’écarter tout risque de malhonnêteté, je me dois néanmoins de vous préciser certains points. Etant seulement étudiante, je ne connais, de toute évidence, que le vocabulaire basique de la langue suédoise. Hélas je n’ai pas eu la chance de grandir dans ce pays, et je ne suis donc pas tout à fait bilingue. N’ayant pas encore validé mon Master d’Archives, je ne dispose pas non plus de toutes les compétences pour exercer parfaitement ce métier minutieux. Si j’ai appris à classer des dossiers dans l’ordre alphabétique, je ne maîtrise pas encore la manipulation délicate des parchemins. Vous n’avez d’ailleurs pas précisé quel type d’archives vous auriez besoin de classer. Je suis consciente de ces lacunes et j’espère les combler au plus vite, mais je suis également consciente qu’il sera difficile pour vous de trouver un traducteur français-suédois qui soit aussi archiviste de métier. Car il me semble qu’il s’agit là de deux métiers.

Par ailleurs, je ne doute pas que le marché de l’art soit en crise et que la vie dans le 7e arrondissement doit être bien chère. Mais permettez-moi de vous signaler que le montant de 417,08 que vous proposez comme rémunération se situe bien au-dessous du seuil de pauvreté, défini par l’INSEE à 795 euros par mois pour une personne seule. Je sais bien que cette limite est peu évoquée voire inexistante dans cet arrondissement, mais une telle rémunération pour deux métiers à temps plein me paraît légèrement déplacée.

C’est pour cette raison qu’après réflexion, j’ai décidé de retirer ma candidature et de vous souhaiter bon courage dans vos recherches. Si vous le permettez, j’aimerais vous livrer un petit conseil : si par miracle vous parvenez à recruter ce malheureux stagiaire, offrez-lui au moins à manger, à défaut d’arrondir le chiffre de son salaire à 418 euros au lieu de 417,08.

Bien cordialement,

Sara Fistole.