Ma vie de princesse

Endormie depuis 7 ans dans la douceur d’un chômage sans indemnités, coulant des jours paisibles auprès de mon RSA qu’il fait bon de dormir, je me réveille en grande pompe dans ma tente Quechua et je découvre, Ô camarades stagiaires, à quel point le monde du travail est encore pire que naguère.

Madame, Monsieur, votre Majesté du Royaume d’Azay-le-Rideau,

Actuellement à la recherche d’un travail, et plus précisément d’un logement, je vous envoie ma candidature pour votre offre de stage de Guide touristique dans votre château Renaissance, en espérant que mon profil retienne votre attention comme votre annonce a attiré mon coeur, même si en tant que princesse je suis souvent victime de coups de foudre, ce n’est donc pas étonnant. 

Diplômée d’un Conte de fées en 2012 qui m’a fait croire que j’allais trouver un travail à la fin de mes études, je pense disposer de toutes les ressources intérieures pour habiter un château et mener enfin la vie de princesse que j’ai toujours méritée, mais que mes nombreuses années de chômage m’ont hélas refusée. Ce même Conte de fées m’ayant appris à jongler – telle une troubadour de l’emploi – avec diverses compétences pour me rendre flexible sur le marché du travail, je pense être particulièrement adaptée aux quatre-postes-en-un que vous recherchez, à savoir : la visite guidée, la billetterie, l’accueil des visiteurs et la tenue de la boutique, sans compter l’excellente présentation physique qui caractérise les princesses diplômées. J’imagine à ce propos que la rémunération de 550 euros par mois que vous proposez correspond à chacune de ces fonctions? Ce qui ferait, dans ce cas (d’après mes connaissances en mathématiques) : 550€ x 4 = 2200€ voire plus si l’on compte un bonus « beauté » (veuillez me confirmer ces montants par retour de mail). 

Cette rémunération me parait tout à fait honorable pour un stage, même dans le domaine des contes de fées qui se situent plutôt autour du million d’euros (mais je ne vais pas faire la fine bouche), et je serais donc complètement intéressée par votre embauche, surtout si le logement est gratuit, en plus d’être un château, ce qui vous le savez sûrement est LE logement par excellence pour une princesse. Par ailleurs, le pique-nique en bordure de rivière que vous me proposez pour la pause déjeuner et la buvette à disposition pour décompresser le soir d’une dure journée de travail sont des privilèges très généreux que l’on ne retrouve pas forcément ailleurs sur le site Profilculture.com. Ça, pour une vie de château, vous avez l’air d’en connaitre un rideau ! Sans compter que ces moments de détente me permettraient peut-être, qui sait, de rencontrer un quelconque chevalier, ou pire, le prince charmant dont j’ai toujours rêvé ?

Cependant, sauf erreur de ma part, la date d’entrée dans les lieux au 1er août me parait un peu tardive si l’on admet que les touristes sont en vacances dès le mois de juillet et que l’été commence au 1er juin (d’après mes connaissances en climatologie). Je vous propose donc exceptionnellement mes disponibilités dès le 1er juin (au même tarif, bien sûr), ce qui je l’imagine me donnera un point d’avance sur les autres candidats ? Cela démontre par la même occasion ma capacité d’initiative, très rare chez les demandeurs d’emploi qui sont d’habitude sans volonté.

Pour couronner le tout, il me semble encore une fois que la possibilité de loger gratuitement sur place est une condition essentielle pour exercer le poste de guide que vous recherchez, afin d’une part de bien s’imprégner des lieux et ainsi mieux transmettre l’histoire des châteaux, mais aussi pour pouvoir dormir et ainsi être en forme le lendemain au travail (ce qui est beaucoup moins évident quand on n’a pas de logement, ni de travail d’ailleurs). Si en plus le texte de la visite est fourni, permettez-moi d’être soulagée d’avance par cette charge de travail en moins, sans compter que pour tout vous avouer, j’ai toujours été un peu nulle en histoire-géographie malgré ma passion pour le Moyen-Âge (où j’aurais dû vivre en tant que princesse, mais il faut bien faire avec l’époque où on a atterri par erreur). 

Quelque soit votre décision finale quant à ma candidature, sachez que je tiens cependant à vous remercier de nous faire encore rêver avec des annonces aussi belles et alléchantes que la vôtre, et qui nous permet d’oser penser, peut-être, que le Conte de fées pourrait enfin devenir réalité, si toutefois vous voudriez bien prendre la peine de m’embaucher. Car cela va sans dire que dans le cas contraire je resterais sans emploi, et j’aurais donc préparé toute cette candidature pour rien malgré tout le coeur que j’aurais mis à l’ouvrage en l’honneur du coup de foudre qui nous a unis sur Profilculture.com. 

Dans l’attente d’une réponse positive de votre part, je vous prie d’agréer, votre Majesté, toutes mes salutations les plus distinguées.

Sara Fistole.

Devoir de Mémoire

Stagiaire photothèque

La photothèque du Mémorial de la Shoah possède un très grand nombre de photos des victimes de la Shoah en France. Le travail consiste à les identifier et à rechercher leur parcours à travers des bases de données disponibles au Mémorial. Sur la base de 424 euros pour un plein temps, chèques déjeuner, remboursement Navigo.

Madame, Monsieur,

Diplômée d’un Master 2 d’Etudes cinématographiques, je connais surtout l’histoire de la Shoah à travers le film de Claude Lanzmann. Cependant, mes origines juives m’ont toujours poussée à m’y intéresser davantage, d’autant plus que mon arrière-grand père résistant fut déporté dans un camp où il trouva la mort. Comme il était philosophe, je ne peux que lui rendre hommage dans cette présente lettre que je vous envoie en guise de candidature, même si son nom ne figure pas sur le mur du Mémorial.

Je trouve qu’il s’agit là d’une belle mission que de retracer le parcours des victimes de la Shoah, d’associer des noms aux visages anonymes, et ainsi de les sauver des abimes de l’oubli. Beaucoup s’y sont attelés, en souvenir de leur famille ou simplement dans le cadre de recherches historiques, et le travail d’archiviste exigé par une telle mission doit être extrêmement difficile et éprouvant.

Dans le camp de concentration où il a été déporté, mon arrière grand-père a travaillé comme tant d’autres prisonniers sous les ordres des nazis, menacé chaque seconde par le froid et les fusillades. En échange de son labeur et pour le maintenir à l’état de survivant, on lui jetait quelques bols de « soupe » à la figure. La philosophie et la religion l’ont probablement aidé à tenir aussi longtemps, même si le mystère insondable de sa mort l’a emporté dans une fumée noire. Jusqu’au dernier instant de sa vie, mon arrière grand-père a dû nourrir son esprit de philosophie, et s’il était resté en vie, il aurait peut-être inventé la formule de Hannah Arendt : « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal ».

Parfois, je l’imagine vivant auprès de moi et j’entends ses réflexions à propos de notre société et ses travers. Par exemple et parce que cela me concerne, les jeunes diplômés d’aujourd’hui en sont réduits à accepter des stages pour éviter le chômage. Parce que les jeunes sont ainsi devenus légalement rentables, les entreprises les maintiennent dans un état de faiblesse nécessaire à la bonne santé des chiffres d’affaires. Ainsi, ils mourront de faim et ils n’auront pas le choix, obligés de travailler pour un tiers du SMIC. Mon arrière grand-père m’aurait sûrement expliqué qu’il s’agit-là d’un mécanisme économique alléchant pour conserver le pouvoir, et que les entreprises finiront par se créer des besoins en stages là où il n’y en a pas, dans le but de multiplier leurs profits.

Je ne suis pas certaine que mon arrière grand-père m’aurait encouragée à postuler à votre annonce, étant donné que vous contribuez vous-mêmes, et comme tant d’autres, à insérer les jeunes dans la misère. Grâce aux 424 euros par mois que vous leur donnez en guise de gratification, vous leur proposez tout juste de survivre, comme s’ils n’avaient pas les mêmes besoins que les autres hommes. Que voulez-vous faire de 424 euros à Paris comme ailleurs ? Face à ce salaire humiliant, nous sommes bien obligés de nous soumettre. Cette soumission arbitraire et forcée nous enlève chaque jour un peu de notre humanité, réduits à l’état de mendiants du travail payé. Ce n’est pas parce que cette loi existe qu’elle est juste, il me semble que l’Histoire l’a souvent démontré.

Par respect pour mon arrière grand-père, mon devoir de mémoire m’impose finalement d’écarter toute candidature à votre poste, malgré tout l’intérêt que j’y porte pour des raisons évidentes. De même que, par respect pour moi-même, je ne pourrais supporter le paradoxe de travailler presque gratuitement pour contribuer à la sauvegarde de la mémoire de la Shoah.

En vous remerciant pour votre compréhension, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.

Sara Fistole.

Solidarité forcée

Chargé de recrutement

Mission 1: Recrutement de personnel.
– Sourcing : recherche de candidats sur les différents supports selon les profils recherchés (jobboards, annonces passées, réponses, candidatures spontanées)
– Pré -sélection téléphonique et convocation aux entretiens
– Réaliser les entretiens individuels et tests techniques.
– Relance de candidats inscrits au sein du groupe pour mise à jour des candidats disponibles et relance spécifique en fonction des commandes actives puis prise de RDV
– Diverses tâches administratives : classement des CV et candidatures de l’agence…
Mission 2 : Gestion des annonces
– Diffusion d’annonces sur les sites.
– Détection des sites en synergie avec les métiers de l’agence

Personnalité : Sens du service, réactif, rigoureux, excellent relationnel, polyvalent et sachant gérer ses priorités.

Cher camarade stagiaire,

Le monde est sans queue ni tête, n’est-ce pas. Etant toi-même stagiaire en recrutement, te voici en train d’assurer ta propre succession. Le futur stagiaire fera de même à son tour dans six mois, et ainsi de suite. C’est un peu comme être à la recherche du remplacement de soi-même, et j’imagine à quel point ce doit être difficile à vivre. Je suis là si tu veux te confier, si toutefois tu en ressens le besoin. En tout anonymat, tu peux également t’adresser au collectif Génération Précaire, il t’offriront un masque blanc pour défiler dans la rue et crier ta colère. Je me souviens également qu’il existe, au sein des universités, des cellules de conseil et de crise en cas de surmenage lié au travail en entreprise. Personnellement à une certaine époque, je dessinais sur un papier, pour me soulager, les plans de l’open-space en couleurs. L’art exorcise les angoisses, parfois.

Par simple curiosité, j’aimerais savoir, si toutefois tu veux bien me répondre malgré la pression hiérarchique et l’espionnage probable des mails, comment se passe un entretien de stagiaire à stagiaire. S’agit-il d’une forme de miroir douloureux ou bien prends-tu plaisir à mener cet entretien en dissimulant ton statut ? J’imagine que le service des ressources humaines ne permet pas une telle liberté et que tu dois porter le masque du recruteur impitoyable, malgré ta compassion évidente face au camarade stagiaire.

Entrons davantage dans le vif du sujet, puisque je suis moi-même en train de postuler à cette offre de stage. Je t’avouerais à première vue que cette annonce n’est pas franchement en lien avec mes études de cinéma, malgré mes expériences de casting. La première mission consiste à faire du « sourcing » : s’agit-il d’un anglicisme désignant la recherche de sources ? Je trouve ce mot un peu laid, mais je veux bien croire qu’il existe. Je dois t’avouer que je ne comprends pas grand chose à la suite de la liste, mais je veux bien faire un effort si tu m’aides à y voir plus clair. Par ailleurs, comme le salaire n’est pas précisé, je me demande s’il est à 30% du SMIC comme tous les stages, ou si ton entreprise a décidé d’augmenter la gratification sans attendre la prochaine loi.

Pour finir, je t’avoue que le profil recherché correspond, il me semble, exactement à ma personnalité. Ayant été serveuse dans plusieurs établissements, on peut dire que j’ai le sens du service. J’imagine que ce trait de caractère fait référence au service de café, qui n’a plus aucun secret pour moi après des années d’expérience. Je sais également faire des photocopies, acheter le papier toilette le moins cher sans oublier de demander les factures au Monoprix.

En revanche, la dernière formule m’interpelle : il faut savoir « gérer ses priorités ». Excuse-moi, mais je ne comprends pas de quelles priorités il est question dans le cadre de ce stage. S’agit-il de faire du stage une priorité ? Personnellement, mes priorités actuelles seraient de me nourrir, de m’habiller, et de pouvoir aller au cinéma. Autant dire le minimum vital. Entre nous, si le travail était une priorité, je pense que nous serions vite devenus des robots sans âme, non ? J’espère à ce titre que tu ne m’enverras pas de réponse automatique.

Cher camarade stagiaire, je te souhaite bien du courage. J’espère que ma lettre de motivation t’aura réchauffé le coeur un instant, et n’hésite pas à me contacter si mon profil t’intéresse. Et surtout, n’oublie pas : Tiens bon ! On finira bien par les avoir !

Amicalement,

Sara Fistole.

Les secrets de Hadopi

Offre de stage Pôle photo FNAC

Missions :  Logistique des expositions Photo Fnac 60%
Coordonner les expositions dans les différentes galeries photo Fnac en relation avec les artistes. Gérer le calendrier des rotations des expositions. Suivi et Coordination avec les responsables des magasins. Suivi du site internet et de la page galerie photo. Envoi des emailings, newsletter.
Salaire envisagé : 850 euros/mois.

Madame, Monsieur,

Tout d’abord je tiens personnellement à vous féliciter concernant l’indemnité double que vous proposez pour ce stage. En effet, la loi a fixé les gratifications de stage à 30% du SMIC et vous avez choisi par vous-même de les augmenter alors que vous n’étiez pas obligés. Malgré votre secteur en crise face à la recrudescence des téléchargements illégaux de musique et de films, cette augmentation est absolument courageuse de votre part. Je suis personnellement émue par votre générosité et je vous adresse en conséquence ma candidature qui, je l’espère, sera à la hauteur de vos espérances.

Cependant et avant toute prétention de ma part, permettez-moi de soulever certains points qui n’ont pas échappé à ma curiosité à la lecture de cette annonce. Si je comprends bien, vous attendez d’un stagiaire qu’il effectue la coordination d’expositions, la gestion d’un calendrier, la mise en place et le suivi des festivals, le suivi des collections, la médiatisation des expositions, la fabrication de tous les supports de communication, la gestion en ligne sur la communauté FNAC, le suivi du site internet, la mise en place des partenaires média et la gestion des fichiers. Sauf erreur de ma part, il me semble que toutes ces fonctions assemblées bout à bout correspondent à un emploi du temps largement supérieur à 35h par semaine. Je vous remercierais de préciser si ce poste de stagiaire est éligible aux heures supplémentaires, et si oui, à quel taux elles sont fixées. Ce détail complémentaire me permettrait de trancher rapidement quant à l’intérêt de votre poste et, par conséquent, validerait ma candidature.

Par ailleurs, après quelques recherches rapides entre ces deux paragraphes, j’ai cru apercevoir que le chiffre d’affaires de la FNAC était supérieur à deux milliards, et en constante augmentation à chaque trimestre. Madame, Monsieur, ce n’est pas honnête. Je me vois obligée d’annuler immédiatement mes félicitations en introduction de cette lettre. La gratification de 850 euros dont vous voulez bien vous décharger comme l’océan pourrait se décharger d’une goutte d’eau, n’est pas une reconnaissance suffisante face aux compétences que vous exigez. Permettez-moi de penser que vous incitez vous-même au piratage, ce dont vous osez vous plaindre au risque de perdre du bénéfice. N’êtes-vous pas vous-mêmes les pirates modernes de l’exploitation des stagiaires ?

Pour ces raisons, Madame, Monsieur, j’ai décidé sans regrets de refuser moi-même ma candidature à ce poste. Croyez bien que par votre attitude, vous vous privez ainsi de grands talents comme le mien, et qu’à ce titre, vous foncez droit dans le mur.

En espérant que votre conscience professionnelle évolue un jour dans le bon sens, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de ma plus sincère révolte.

Sara Fistole.

Le syndrome de Peter Pan

Assistant Edition

Missions : Concevoir des jeux et des consignes de coloriage pour des ouvrages destinés aux 3-6 ans, prospecter et faire de la veille concurrentielle sur le secteur audiovisuel, participer au suivi des dossiers éditoriaux édition : relecture d’épreuves, correction, suivi de la chaîne du livre. Profil recherché : Etudiant en Edition (Master 1 – 2), vous manifestez un fort intérêt pour la presse et la littérature jeunesse. Polyvalent, créatif, rigoureux, vous savez être force de proposition et aimez travailler en équipe. Indemnité de stage selon profil.

Madame, Monsieur,

A la fois auteur, correctrice, relectrice, prospectrice, créatrice de jeux, aînée d’une famille de quatre enfants et jeune, je pense pouvoir parfaitement correspondre au profil que vous recherchez. En effet, tout au long de ma scolarité, je me suis formée à tous ces métiers, ayant obtenu pour chacun un diplôme reconnu par l’Etat. Après un baccalauréat littéraire, j’ai effectué deux Masters dans l’édition et le cinéma, en plus d’être titulaire d’une licence professionnelle de médiation culturelle et d’un BTS Métiers du livre. De toute évidence et de par mes nombreuses expériences, mon champ de compétences est extrêmement riche et varié.

Abonnée au Journal de Mickey depuis l’âge de cinq ans, je n’ai jamais cessé de dévorer la presse et la littérature jeunesse, toujours présentes à mon chevet. De même, je n’ai jamais arrêté d’utiliser mes cahiers de coloriage et je réclame chaque soir à mes parents une histoire pour m’endormir. Depuis ces longues années, je suis restée très attachée à l’univers de l’enfance, peu intéressée par les préoccupations des adultes. Si la peur de grandir est certainement en cause, je pense également que le monde du travail y est pour beaucoup. Effrayée à l’idée d’être employée par une entreprise, le seul concept de contrat à durée indéterminée me donne la chair de poule. Être adulte, c’est aussi accepter d’être embauché, payé, et donc cotiser pour sa retraite.

Je ne suis pas intéressée par ces choses-là, soucieuse de préserver au maximum mon insouciance. N’ayant pas encore accédé à cette maturité, et bien que sur-diplômée, j’ai donc décidé d’enchaîner les stages, afin de perpétuer aussi longtemps que possible le souvenir de mon enfance perdue. Je peux donc, avec grand naturel, accepter les réprimandes des supérieurs qui me rappellent l’autorité passée de mes parents, obéir aux ordres telle l’enfant que je ne suis plus, et me faire discrète lorsque les circonstances l’exigent. Avouez que mon profil ferait rêver n’importe quelle entreprise, une véritable chance à saisir, une opportunité qu’il ne faudrait laisser filer sous aucun prétexte.

Mes précédents employeurs me considèrent ainsi comme un véritable modèle de stagiaire : je fais ce que l’on me dit de faire, je ne vais manger que lorsqu’on me le demande, je ne réclame rien et je peux supporter tous les ordres les plus absurdes et les plus violents sans jamais me plaindre à aucun moment ni d’aucune manière. A une condition près cependant : qu’on me laisse mon doudou lapin, ma peluche et plus fidèle amie depuis ma naissance. Rassurez-vous, je prépare moi-même mes biberons et je ne porte plus de couches depuis longtemps. Je dispose donc, et à votre service, de tous les avantages de l’enfance sans ses inconvénients.

Habitant toujours chez mes parents, je tiens à vous préciser que je n’ai aucun besoin particulier et l’argent de poche que vous proposez gentiment ne me serait d’aucune utilité. Je pense que d’autres personnes en auraient davantage besoin, permettez-moi de ne réclamer aucune monnaie, aucune gratification, aucune indemnité ni aucun avantage en nature. Ce sont mes principes et j’y tiens, je refuse de m’approcher davantage de l’âge adulte et l’argent fait partie de ses vices écoeurants.

Pour finir, je vous avoue que c’est grâce aux nombreux mots-clés enregistrés dans mon moteur de recherches que j’ai agréablement trouvé votre annonce : stage, infantilisation, coloriage, exploité, mépris, crise, chômage, profit, et le dernier mot compte double : sans scrupules.

En espérant vous avoir convaincus par la solidité de ma candidature, j’espère que vous me contacterez pour un entretien, moi et mon doudou lapin.

Bien cordialement,

Sara Fistole.

Discrimination vestimentaire

Stage Assistant de production

Gestion administrative des différents projets en cours
Préparation des dossiers de demandes d’aides. Lecture de scénarios et fiches de lecture. Une expérience précédente dans la production cinématographique est un plus. Casquette régie appréciée.

Madame, Monsieur,

Permettez-moi de vous informer que votre annonce ressemble à beaucoup d’autres et qu’il faut malheureusement savoir lire entre les lignes pour comprendre réellement de quoi il s’agit. Ainsi, vous vantez des responsabilités a priori valorisantes comme la gestion administrative des projets en cours, alors que vous savez bien, comme moi pour l’avoir pratiqué, qu’il faut simplement classer des dossiers, répondre au téléphone et faire les commandes des fournitures de bureau, pour ne citer que les activités principales. De même, les lectures de scénario, exercices a priori alléchants, sont un prétexte pour isoler le stagiaire dans une bulle intellectuelle afin de s’auto-persuader qu’on lui donne quelque chose à faire. Par ailleurs vous précisez qu’une « expérience précédente dans la production cinématographique serait un plus », alors que vous savez comme moi que lorsqu’on a appris à ranger des dossiers, à mettre des timbres sur des enveloppes ou à organiser des rendez-vous, on n’a plus rien à apprendre d’un stage dans l’audiovisuel.

Avouez-le, ce n’est pas honnête. Je sais bien que vous n’avez pas les moyens, c’est toujours une bonne excuse quand on travaille dans le secteur du cinéma et il est bien confortable d’attribuer les tâches les plus ingrates à un stagiaire de passage. Mais de là à suggérer le port d’une casquette pour la régie, je trouve que vous dépassez les bornes. Non seulement le stagiaire est suffisamment mis à l’écart, notamment pendant les pauses repas où il va réchauffer son tupperware au micro-ondes, mais il faudrait en plus qu’il porte une casquette pour qu’il soit davantage identifiable. Ainsi, lorsqu’il s’en va acheter des disques durs pour la post-production, mission gentiment appelée « assistant de post-production », sa fonction devrait en plus être inscrite sur sa casquette, afin d’enfoncer le couteau dans la plaie, et achever de l’humilier sur la place publique. A quand le t-shirt « stagiaire » ou le pin’s « génération précaire »?

Je sais bien, hélas, que vous aurez de nombreuses réponses à votre annonce de stage, et que sans être habités par le moindre scrupule vous sélectionnerez celui qui aura une expérience supplémentaire, et celui qui sera déjà détenteur d’une casquette afin de minimiser les frais de la régie. Je sais également que vous n’avez que faire de mon indignation et que vous trouverez indéfiniment à votre conscience des arguments en faveur d’une telle annonce, dans ces périodes de crise et de chômage, etc. Certes, j’imagine que votre conscience en a bien besoin pour se regarder dans la glace chaque matin, mais sachez que nous sommes les boucs-émissaires qui participons à ce reflet positif dans lequel vous espérez vous contempler sans honte et sans regrets. Avouez que dans un certain sens, vous nous devez le respect.

Bien cordialement,

Sara Fistole.

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