Devenez pauvre, devenez journaliste Kebab !

A vos lettres. Les annonces de piges à 5 euros, nouvelle mode. Anaïs répond à un célèbre guide qui préfère sûrement rester anonyme.

Chère Sara,

J’ai découvert hier ton blog. Et l’existence de piges à 5€ par jour. J’ai amèrement ri, devant cette triste réalité.
Mais ne fut-elle pas douce, l’ironie du sort, en recevant aujourd’hui une offre… a priori trop courante!
J’ai répondu à une annonce d’un célèbre guide de voyage pour collaborer à la rédaction d’un guide pour les villes de Sèvres et Saint-Cloud. Dès le lendemain, j’ai reçu un appel téléphonique. Je n’ai aucune trace écrite de cette offre. Mais j’ai tout de même décidé de leur écrire un mail pour la décliner.
L’offre en question : 250 articles (recommandations de restaurants, test d’activités, bons plans, etc.) de 800 à 1000 caractères, d’ici fin avril, Le pari est tenable. Le tout avec une enveloppe de frais de 700€. Quand on fait le calcul, l’offre devient un peu plus ridicule. Mais finalement, le coup de grâce tombe à l’annonce du salaire : 1€ pour une vérification de lieu déjà listé, 2€ pour une modification de lieu déjà listé, 5€ pour un article tout frais. 
Merci de m’avoir lue, et bon courage pour ta lutte. Si nous nous unissons, peut-être qu’elle en deviendra moins vaine.

Chère Madame,

Après calculs et réflexion, je ne peux décemment pas accepter votre offre. J’ai pourtant, comme tous les jeunes débutant leur vie professionnelle, toutes les qualités requises pour l’offre : je suis flexible, malléable à souhait, prête à travailler quasi bénévolement pour acquérir une expérience, et cela à des horaires incroyables. Malheureusement j’ai aussi un défaut qui déplaît à de nombreux employeurs : une conscience professionnelle.

Je ne suis pas très douée pour le calcul, et à première vue au téléphone je trouvais fort alléchant l’attribution d’une enveloppe de frais de 500€ pour les notes de restaurant et 200€ pour les activités diverses. Malheureusement, j’ai entrepris de diviser cette somme de 700€ par le nombre d’articles que vous attendez : 250. J’arrive à la maigre moyenne de 2,80€. Bien sûr il s’agit là d’une moyenne et je n’oublie pas que certaines sorties restent gratuites, et certaines adresses connues par cœur de la locale que je suis, qui n’a donc pas besoin de retourner y dépenser quelques kopecks.

J’ai retourné le problème dans tous les sens, et j’ai trouvé deux solutions pour ne pas dépasser l’enveloppe de frais : je peux recommander, pour une enveloppe de 2€80 les frites grasses du kebab d’en bas de chez moi. En mutlipliant les kebabs, je proposerai ainsi au lecteur une multiplicité d’adresses gastronomiques. Quant aux sorties, je peux entreprendre de tester le confort de chaque banc du parc de Saint-Cloud. Je sais malheureusement d’avance que cette solution ne vous conviendra pas.

Je peux également pour ne pas dépasser cette enveloppe me contenter d’avis approximatifs, tester à moitié, croire ce qu’on me dit, recopier des avis piochés sur Internet, recommander des restaurants qui m’auraient offert le couvert, écrire à l’aveuglette, bref, ne pas explorer, ne pas déguster, ne pas tester, ne pas enquêter… Cette solution vous conviendrait-elle? Comment procèdent les rédacteurs d’autres éditions pour rentrer dans leur frais? Savez-vous qu’à Sèvres et Saint-Cloud, comme à Paris, on ne peut pas espérer manger au restaurant pour moins de 10€?

J’opterai volontiers pour cette solution de la rédaction à l’aveuglette, si je n’avais pas une conscience professionnelle. Quel genre de recommandations, de conseils, mettez-vous à disposition de vos lecteurs? Si tous les guides sont rédigés de cette manière, avec une enveloppe aussi restreinte, peut-on vraiment espérer y lire des avis de qualité? Je ne souhaite prendre personne pour un imbécile, ni vous, et encore moins vos lecteurs, ces baroudeurs qui vous font confiance.

Je pourrais encore épiloguer sur l’indemnisation que vous me proposez pour la rédaction d’articles ou la modification d’adresse. De 1 à 5€. Un euro pour vérifier une adresse, cela ne couvre même pas l’achat d’un ticket de bus aller-retour. 5€ pour un papier? Il y a du mieux, pour moi qui bien sûr suis heureuse de pouvoir travailler à n’importe quel prix. 

J’espère sincèrement qu’avec ce courrier vous aurez pris conscience, non pas de ma situation, mais de celle de vos lecteurs, que je plains désormais de devoir se contenter de papiers qui ne valent pas même une heure du SMIC.

Je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments les plus distingués,

Bien cordialement,

Anaïs.

Le sens du sens du service

Hôtesses d’accueil dans le domaine culturel

Madame, Monsieur,

Diplômée depuis cette année d’un bac+ 5 dans la Culture, je suis naturellement intéressée par le poste que vous proposez dans ce domaine culturel qui est le vôtre. A la recherche d’un emploi depuis le mois de septembre, je suis entièrement flexible du lundi au dimanche ainsi que les jours fériés, de 8h à 20h sans interruption, et plus encore si besoin. Cependant, malgré ce large éventail de disponibilités, je pourrais difficilement vous servir pendant mon sommeil, en raison de l’inactivité de mon corps censé récupérer de ses efforts la nuit.

Mon profil étant composé de cheveux roux, yeux noisettes, 1,65 m, pointure 36, taille 38, bonnet 85 D, je suis capable de compétences agréables en accueil téléphonique et physique grâce aux stages que j’ai déjà effectués dans le domaine culturel depuis 2008. En effet, mes expériences en tant que décor de bureau et figurante de passage dans les différentes sociétés où j’ai exercé, assurent aux personnes concernées une totale discrétion et un sens inégalé du sens du service, sans oublier l’entière satisfaction éprouvée par la clientèle à maintes reprises. J’ai par ailleurs souvent reçu en récompense de mon accueil physique quelques billets verts glissés avec délicatesse dans les plis de mon chemisier. Ce petit frisson agréable me permet de tenir, lorsque parfois je sens faiblir mon courage. Il n’est pas rare en effet d’obtenir des avantages en nature dans le domaine culturel, et j’ose espérer que votre poste est soumis aux heures supplémentaires spéciales auxquelles les hôtesses peuvent prétendre, de par leur excellente présentation qui n’est pas sans conséquences.

C’est pourquoi, afin d’être en adéquation avec le salaire de 1020 à 1600 euros brut que vous indiquez, je vous propose ma silhouette brute, éventuellement épilée mais sans accessoire particulier. Il me semble honnête et approprié de vous réclamer 100 euros TTC pour chaque vêtement optionnel, ces suppléments ayant un coût important pour mon budget. A moins que soient prévus les habits des hôtesses, ce qui annulerait bien évidemment ma proposition, en espérant cependant que les uniformes imposés soient alléchants pour le client et reconnaissables par lui, afin de ne pas perdre les bénéfices liés à la fidélité.

Par ailleurs, je suis certaine que votre clientèle internationale appréciera mes qualités multilinguales : après huit ans d’université, je me ferais une joie de soumettre mes capacités intellectuelles à votre service, car j’ai longtemps espéré qu’elles favorisent mon insertion professionnelle dans le domaine culturel. Ce jour arrive enfin, après d’interminables combats pour y parvenir : vous m’offrez cette chance et je vous en remercie infiniment par avance.

Cependant, j’aimerais revenir sur ce que vous appelez « Le sens du sens du service ». Si je comprends une telle exigence car elle est de mise dans le domaine culturel, j’ignore dans quel sens vous espérez ce sens du service, ni dans quelle posture précisément. J’ai appris lors de mes stages à me tenir debout et silencieuse, à rester figée contre les murs d’un bureau, voire m’accroupir dans des lieux improbables à certaines occasions. J’ai également pu travailler la position allongée dans de rares circonstances, mais aussi la posture à genoux lorsque je n’avais guère le choix.

Si votre poste implique en revanche de se rabaisser davantage, qu’il s’agisse de moquette ou de carrelage, je ne saurais l’accepter pour des questions d’éthique. Je refuse catégoriquement de ramper sur le sol pour vous lécher les bottes sous une chaise, même si mon statut actuel m’y oblige implicitement en raison du peu d’opportunités de travail. Sachez que je préfère rester digne, même si dans le domaine culturel je vous l’accorde, ce n’est pas chose facile.

Bien cordialement.

Sara Fistole

Boule de cristal

A vos lettres ! Sophia lance un nouveau concept, la candidature philo-marketing.

Fondée en 2001, Synchrone technologies, 530 collaborateurs et un prévisionnel de 56 millions d’euros de CA à fin 2011, réalise des missions d’audit et de conseil dans le domaine des nouvelles technologies pour les plus grands groupes internationaux. De formation Bac+5 en école de commerce ou de communication, vous êtes reconnu(e) pour votre relationnel, votre rigueur et votre ténacité.

Madame, Monsieur,

Synchrone technologies est une société à dimension internationale spécialisée dans le conseil, principalement dans les domaines de l’ingénierie bancaire et des infrastructures. Ayant déjà postulé à ce poste en août dernier, je constate pour la deuxième fois en quelques semaines que vous réitérez vos recherches. N’ayant pas retenu précédemment votre attention, je me permets donc d’apporter quelques précisions complémentaires.

Comme vous pouvez le constater, j’ai fait de longues études de philosophie, majoritairement en Allemagne et mon sujet de thèse portait sur la philosophie anglo-saxonne. Non sans surprise, cela m’a permis de maîtriser particulièrement bien l’anglais et l’allemand, raison principale qui fait que j’ai un métier aujourd’hui.

Je vous l’accorde, les études de philosophie ne sont pas faites dans le but de travailler dans la communication et le marketing, et si j’avais eu la chance d’avoir une boule de cristal quand j’étais en terminale, j’aurais probablement opté pour une prépa HEC plutôt que littéraire et ainsi, j’aurais pu intégrer une école de commerce qui me permettrait de pouvoir postuler aujourd’hui à votre annonce. Quoique dans ce cas, j’aurais sans doute pu postuler à des postes encore plus stratégiques et ainsi gagner plus d’argent encore. C’est très dommage, car hormis ce détail sur la formation universitaire, il se trouve que j’ai un très bon relationnel, une rigueur particulière mais belle et bien existante, et une ténacité que vous prouve ce présent courrier. Inutile d’insister sur mon audace, celle-ci achèverait l’intérêt minimal que pourrait avoir un recruteur en considérant ma candidature.

Ne souhaitant plus vous rencontrer, je vous prie d’accepter, Madame, Monsieur, mes salutations distinguées.

Sophia.

Ambiance de folie

Salut Gwen  !

Permets-moi de te tutoyer, ainsi que tu le proposes dans ton annonce ! Je pense que dans l’animation nous sommes tous jeunes, cool et de bonne humeur, et que le vouvoiement serait donc un peu trop lourd et sérieux entre nous ! Je suis très heureuse de postuler à ton annonce qui m’inspire une motivation énorme pour être la personne qu’il te faut  !

Pour me présenter, je suis une fille super sympa et très drôle ! Titulaire du BAFA depuis 2003, l’animation m’est tout de suite apparue comme une véritable vocation et mes expériences ne m’ont jamais déçue par la suite  ! Pour mon stage d’approfondissement, j’ai choisi de me spécialiser dans le domaine de la boum et des jeux en centres de vacances ! Je suis donc très expérimentée en veillées, sonos DJ et lumières, balles au prisonnier, grands jeux et Loup Garou autour du feu, mon activité préférée, en faisant fondre des chamallows bien sûr  !

De plus, comme je ne lâche jamais ma guitare et mon diapason rouge, je suis capable d’égayer une journée morose par de multiples coupures musicales et enchantées  ! Les enfants m’adorent et me réclament la chanson du Matou plusieurs fois par jour, ma spécialité  ! Je fais partie de ces animateurs survoltés qui ne se lassent jamais de la cacophonie de la cantine, des nuits de réunion interminables, des sorties au zoo et des activités très chères qu’on n’a jamais l’occasion de pratiquer dans un autre contexte ! Par exemple, l’accro-branches a été une véritable découverte que mes parents ne m’auraient jamais offerte, et j’en garde un souvenir exceptionnel  ! Je suis impliquée à fond dans mon rôle et mes responsabilités car contrairement aux apparences, je pense que l’animation est un vrai métier  ! Ce n’est pas parce que les animateurs sont toujours heureux de vivre qu’ils ne sont pas travailleurs, bien au contraire  ! C’est la beauté de ce métier qui les fait se lever chaque matin, ou même poursuivre leur nuit blanche  ! Car, malgré leur énergie inépuisable, les animateurs ne dorment jamais, d’où leurs erreurs parfois !

Par exemple, un jour où je n’avais pas trouvé le temps de dormir à cause d’un collègue qui m’avait versé un sceau d’eau entier sur la tête en guise de bizutage, je me suis trompée en comptant les enfants pour l’activité du matin, et j’en ai oublié un  ! Le pauvre est resté toute la journée dans le centre déserté, à pleurer à chaudes larmes  ! Je pense qu’un animateur doit être réactif, perpétuellement réveillé, à l’affût des dangers et toujours disponible, car même la vie des enfants peut être en jeu ! Mais comme tu le dis toi-même, il faut aussi savoir les mater tout en restant pédagogue, un qualificatif qui me correspond particulièrement ! Ce qui n’empêche pas une super ambiance, évidemment  !

C’est pourquoi je trouve que le salaire que tu proposes de 176 euros pour 8 jours, ça envoie du lourd ! 22 euros par jour sans pause ni nuit de repos pour animer un séjour de folie  ? Un euro de l’heure pour 22 heures de travail ? Je dis OUI, trois fois OUI, pour être payée à vivre cette expérience exceptionnelle ! CAR POUR LE BIEN-ÊTRE DES ENFANTS, LEUR EPANOUISSEMENT PERSONNEL ET LA QUALITE DE LEURS VACANCES, DONNONS LE MEILLEUR DE NOUS-MÊMES, DE NOS RESSOURCES ET DE NOTRE IMAGINATION POUR PAS UN ROND ! N’AYONS PAS PEUR DE BRADER LE METIER D’ANIMATEUR AU RISQUE DE LE FAIRE PASSER POUR UN GUIGNOL, CE QU’IL EST DE TOUTE FAÇON AU REGARD DE TOUS, NOTAMMENT GRACE À TOI ET TON ANNONCE !

Cher Gwen, même en forme, je reste fatiguée de croiser des offres comme la tienne, et je compatis au sort des futurs enfants qui seront épuisés d’avance par cette pédagogie de la dynamite. Merci pour eux.

Sara Fistole.

Le rêve de toute une vie

 A vos lettres ! Aurélie ouvre la marche avec une entreprise qu’elle connaît bien, et qui appréciera cette charmante lettre.

Descriptif du poste :
RGIS, leader mondial en solutions d’inventaires, compte en France 8 antennes (Lille, Nantes, Bordeaux, Aix en Provence, Lyon , Toulouse, Nancy) et travaille avec les plus grands noms de la grande distribution. 940 postes d’inventoristes sont à pourvoir France entière, dont 280 postes sur l’Île-de-France. Tous profils, débutant(e) accepté(e). Missions : compter et scanner des articles dans des magasins de distribution chaque jour différents. 20 heures hebdomadaires – décalés/ de nuit. Contrat à durée déterminée. 9 euros de l’heure, travail essentiellement de nuit.

Madame, Monsieur,

Jeune diplômée précaire et désespérée, je suis à la recherche d’un emploi. Votre annonce m’a intéressée car elle ne propose que 20 heures de travail, ce qui me permettrait donc d’avoir du temps la journée pour me chercher une situation meilleure. Diplômée en gestion, je me suis dit que sachant compter au moins jusqu’à 10, j’étais la candidate idéale pour ce poste. Je suis jeune, alors les horaires décalés, je les supporte plutôt bien.

Comme mes camarades précaires, j’adorerais me faire traiter comme un chien. J’adorerais qu’on me dise qu’au bout de la troisième erreur, c’est dehors (et pas de paye), que je n’ai pas le droit de m’asseoir cinq, huit heures durant, et surtout, pas de pause pipi : travailler pour votre société est le rêve de toute une vie. On est très bien payé (9 € bruts, pas de prime pour travail de nuit), on fait beaucoup de route en car sans savoir où on va (un aller peut durer 2h30) et l’ambiance de travail est plus qu’agréable. J’adorerais avoir un Manager, dont les conditions de travail sont pires encore que les miennes, me crier dessus, me surveiller, me contrôler. Une fois le boulot fini, j’apprécierais aussi attendre deux heures dans le car le temps que les derniers terminent leur tâche. Au passage, je ne serais pas payée durant cette attente, j’aurais débadgé. Après tout, je suis jeune, fiable, flexible, motivée, dynamique, curieuse, sérieuse, rigoureuse, ce poste est pour moi !

Je souhaiterais cependant avoir quelques éclaircissements, si vous le voulez bien. Les conditions de travail sont-elles bien légales ? Que pensez-vous de la montée en puissance de la précarité des jeunes ? Vos pratiques managériales sont-elles dignes d’une entreprise internationales ? Quoiqu’il en soit, je vais quand même travailler chez vous. Vous êtes la seule boîte qui accepte les débutants, sans doute plus corvéables et disponibles.

Dans l’attente d’une réponse de votre part, veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.

Aurélie.